Après l’UX — l’expérience comme espace d’émancipation selon John Dewey

Publié le

14 mai 2025

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Introduction

L’expérience est devenue une notion centrale dans le discours du design numérique contemporain. L’UX design, ou User Experience Design, prétend placer l’expérience utilisateur au cœur du processus de conception. À première vue, cette orientation semble marquer un progrès : elle valorise l’attention portée à l’usager, l’écoute de ses besoins, l’ajustement des interfaces à ses usages. Mais derrière cette promesse apparemment bienveillante se cache un malentendu profond. Le mot expérience n’y est pas entendu dans son sens philosophique, existentiel ou esthétique, mais comme un objet mesurable, pilotable, optimisable. L’utilisateur devient alors un simple sujet d’expérimentation, tandis que le designer occupe la place du véritable sujet de l’expérience — celle de la création, de l’enquête, de l’itération.

Cette dissymétrie entre celui qui conçoit et celui qui subit révèle une posture de contrôle déguisée en empathie, une captation méthodique de la subjectivité sous couvert d’écoute. Elle entre en tension directe avec la philosophie pragmatiste de John Dewey, le penseur majeur du concept d’expérience au XXe siècle, dont la pensée connaît aujourd’hui un regain d’attention, tant en philosophie politique (Barbara Stiegler) qu’en esthétique, pédagogie ou design. Pour Dewey, l’expérience ne peut être authentique que si elle procède d’une expérimentation libre, conduite par le sujet lui-même. Dans Art as Experience (1934), il conçoit l’expérience comme un processus actif d’interaction avec le monde, dans lequel l’individu explore, agit, ajuste et se transforme au fil de ce qu’il vit. Loin d’être un enchaînement de réactions mesurables, l’expérience devient une enquête incarnée, une mise à l’épreuve du réel qui suppose liberté, engagement et imprévisibilité. C’est précisément cette part d’initiative et de transformation que l’UX tend à neutraliser, en construisant des parcours contraints où l’utilisateur, loin d’expérimenter, est guidé à travers un système pensé pour produire des réponses conformes.

Deux conceptions de l’expérience s’opposent alors : l’une gouvernée, instrumentée, prédictive ; l’autre vécue, ouverte, transformatrice. Ce conflit soulève une série de questions essentielles : que signifie concevoir pour autrui ? Peut-on encore parler de design « centré utilisateur », si ce dernier n’a ni le pouvoir de créer, ni celui de vivre pleinement ce qu’on conçoit pour lui ? Et surtout, quels modèles alternatifs permettent d’imaginer un design qui ne simule pas l’expérience, mais qui la rende véritablement possible ?

Dans ce contexte, il est intéressant d’observer les frémissements récents des grandes plateformes numériques. iOS 18 introduit une personnalisation avancée de l'écran d'accueil, permettant aux utilisateurs de modifier la couleur, la taille et la disposition des icônes, ainsi que de personnaliser le centre de contrôle avec des widgets interactifs et redimensionnables . De son côté, Android 15 offre des options similaires, avec la possibilité de personnaliser l'écran de verrouillage, les notifications et les modes de concentration, offrant ainsi une plus grande flexibilité dans l'organisation de l'interface . Bien que ces évolutions ne renversent pas la logique dominante du design orienté performance, elles suggèrent qu’un infléchissement est possible — vers une conception plus ouverte, plus modulable, plus habitée.

Cet article propose une lecture critique de l’UX design à la lumière de John Dewey. Dans un premier temps, il interroge la posture dominante de l’UX et sa trahison de l’idée d’expérience comme transformation vécue. Dans un second temps, il défend l’hypothèse d’un renversement possible, fondé sur une nouvelle éthique du design nourrie par la philosophie pragmatiste, la pensée critique des techniques, et les dynamiques ouvertes du numérique. À travers cette double lecture, il s’agira moins de rejeter l’UX que d’en interroger les fondements, pour rouvrir la possibilité d’un design qui fasse place à de véritables expériences : actives, situées, transformatrices, et capables de restituer à chacun une véritable puissance à agir.

L’UX : un design de l’expérience mesurée

Dans le champ du design numérique, le terme expérience utilisateur s’est imposé comme une valeur centrale, évoquant écoute, attention et confort. Mais derrière cette façade empathique, les pratiques dominantes de l’UX design révèlent une autre logique : celle d’un traitement méthodique de l’expérience comme donnée. Loin d’un vécu subjectif, profond ou transformateur, l’expérience y est généralement définie comme une réponse fonctionnelle à des dispositifs conçus en amont, puis évaluée à l’aide de métriques (temps de chargement, taux de clic, conversion) et de méthodes issues de l’enquête utilisateur (tests, entretiens, observations).

Ces outils permettent certes d’ajuster les parcours aux usages observés, mais ils visent moins à comprendre ce que vit l’usager qu’à calibrer son comportement selon des objectifs prédéfinis. L’expérience devient un indicateur, un levier d’optimisation, un paramètre gouvernable. On ne cherche plus à ouvrir des possibilités d’action, mais à réduire l’incertitude dans les interactions. Le design se rapproche alors d’une ingénierie comportementale, qui mesure, ajuste, oriente — sans véritablement laisser place à l’émergence d’une expérience au sens fort. Cette approche, influencée par les sciences cognitives et le marketing, tend à faire de l’expérience un objet mesurable, quantifiable, donc gouvernable.

On ne conçoit pas un monde à vivre, mais un système à optimiser.

Cette logique est parfaitement illustrée par le travail de Carine Lallemand dans Méthodes de design UX : 30 méthodes fondamentales pour concevoir et évaluer les expériences utilisateurs. L’ouvrage, extrêmement rigoureux et largement reconnu dans le champ professionnel et académique, propose une synthèse très structurée des démarches UX contemporaines, articulée autour de protocoles précis, d’indicateurs évaluables, et de critères de validation. Loin de simplement outiller le designer, ce référentiel méthodologique consacre une vision de l’expérience comme objet analysable, instrumentalisable, maîtrisable. Chaque méthode — de l’interview utilisateur à l’évaluation heuristique, en passant par les tests A/B ou les personas — participe d’une même intention : produire des données exploitables pour guider le design vers des solutions convergentes, mesurables, efficaces.

Si cette approche permet d’objectiver certains aspects de la conception, elle enracine aussi l’UX dans une logique technico-scientifique qui tend à instrumentaliser l’expérience, plutôt qu’à en reconnaître la nature vécue, subjective, évolutive. En ce sens, l’ouvrage de Lallemand est exemplaire : non parce qu’il serait critiquable dans sa forme, mais parce qu’il révèle, dans sa précision même, le cadre épistémologique dominant de l’UX design contemporain.

L’utilisateur comme sujet passif d’expérimentation

Dans ce cadre méthodologique centré sur l’optimisation et la mesure, l’utilisateur n’est pas véritablement celui qui fait l’expérience, mais plutôt celui qui la subit – à la manière d’un cobaye dans un laboratoire. On l’observe, on mesure ses gestes, on teste ses réactions face à différentes versions d’un design, on en extrait des données pour affiner l’interface. Loin d’être un acteur de son environnement, il devient un paramètre dans une boucle itérative de validation produit.

Le vocabulaire courant du design UX (persona, user journey, user testing) illustre cette réduction : l’utilisateur est modélisé, simplifié, anonymisé. Il n’est pas un sujet singulier, mais un type statistique, un agrégat de comportements prévisibles. Cette posture crée une asymétrie fondamentale : le designer conçoit, l’utilisateur subit ; le designer agit, l’utilisateur réagit.

L’utilisateur n’est pas véritablement celui qui fait l’expérience, mais plutôt celui qui la subit – à la manière d’un cobaye dans un laboratoire.

Ainsi, l’expérience, dans le cadre de l’UX design, devient moins un vécu qu’un dispositif orienté : elle est construite pour l’utilisateur, mais rarement avec lui, et presque jamais par lui. Cette asymétrie, où l’un conçoit et l’autre consomme, reflète une logique de plus en plus répandue dans les cultures numériques contemporaines : celle d’un design qui ne cherche plus à ouvrir l’expérience, mais à la scénariser, l’encadrer, la piloter. Derrière la rhétorique de l’empathie et de la personnalisation, l’utilisateur reste largement exclu du processus de création, réduit à une variable dans un système d’optimisation.

À rebours, la pensée de l’expérience chez John Dewey

Face à cette logique instrumentale, la philosophie pragmatiste de John Dewey offre un contrepoint radical. Il nous propose de repenser l’expérience non comme produit, mais comme processus, non comme réaction, mais comme transformation active du sujet dans sa relation au monde. Dans Art as Experience (1934), il développe une conception de l’expérience fondée sur une interaction vivante et continue entre l’individu et son environnement. Une véritable expérience, selon lui, n’est ni un stimulus isolé, ni une suite d’événements fragmentés, mais une totalité dynamique, qualitative et signifiante. Elle comporte une unité interne, une tension dramatique, une montée, un climax, une résolution. Comme une œuvre d’art, elle se distingue par sa forme vécue, et non par des paramètres observables ou des métriques extérieures.

Pour Dewey, l’expérience authentique se construit de l’intérieur, par un sujet engagé, affecté, et modifié dans sa relation au monde.

Comme le résume Joëlle Zask, dans son Introduction à John Dewey, « l’expérience est comprise comme une expérimentation au cours de laquelle l’individu déploie une énergie spécifique qui provoque des conséquences concrètes. Il ne s’agit pas, comme dans l’empirisme classique, sensualiste, d’un simple état mental consécutif à une perception sensible particulière [...], mais d’une activité tangible qui suppose de manipuler les choses, d’introduire des changements et de modifier la situation d’interaction » (Introduction à John Dewey, Joëlle Zask, p. 51).

Pour Dewey, l’expérience authentique se construit de l’intérieur, par un sujet engagé, affecté, et modifié dans sa relation au monde. Elle ne peut être conçue comme un phénomène simplement mesurable, et encore moins comme un dispositif machiné ou piloté depuis l’extérieur. Or, c’est précisément ce qui se produit dans les démarches UX contemporaines : l’expérience utilisateur y est conçue comme un parcours prédéfini, balisé, orchestré par le designer, dont l’objectif est d’obtenir des réponses prévisibles à des configurations spécifiques. L’expérience devient alors un phénomène exogène, déterminé par autrui, et non une transformation vécue de manière autonome.

Cette dérive entre directement en conflit avec l’éthique de Dewey, pour qui l’expérience n’est valable que si elle permet une appropriation par le sujet, une conscience du processus, une liberté d’interaction. En somme, l’expérience véritable n’est pas ce qu’on subit, mais ce qu’on fait et dont on tire sens. En la transformant en objet de manipulation, l’UX risque non seulement d’appauvrir le vécu, mais aussi de nier la capacité de l’individu à se construire activement dans sa relation aux environnements numériques.

Une inversion problématique : l’expérience du designer, pas de l’usager

Ironiquement, si l’on applique la lecture de Dewey aux pratiques du design UX, une inversion fondamentale apparaît : en design UX ce n’est pas l’usager qui vit une expérience au sens fort — c’est le designer. C’est lui, en réalité, qui traverse un processus organique : il identifie une problématique, se confronte à des contraintes, esquisse des hypothèses, explore des alternatives, affine une solution, la teste, la réajuste. C’est lui qui, dans ce va-et-vient entre pensée, action et transformation, expérimente pleinement au sens pragmatiste du terme. Il est le sujet d’une expérience créative, réflexive, complète.

En design UX, ce n’est pas l’usager qui vit une expérience au sens fort — c’est le designer.

L’utilisateur, lui, n’est souvent que l’objet de cette expérimentation. Il entre dans un système déjà pensé, parfois subtilement contraint, dans lequel ses actions ont été anticipées, ses choix balisés, ses réactions mesurées. Il ne vit pas son expérience, il parcourt celle que le designer a conçue pour lui. Loin d’être acteur, il est intégré dans une machine expérientielle où chaque point de contact, chaque interaction, chaque friction potentielle a été calibrée. Il évolue dans un environnement prédictible — souvent même prescriptif — qui laisse peu de place à l’inattendu, à l’interprétation ou à la bifurcation.

C’est à ce point précis que le déséquilibre devient politique : le pouvoir de concevoir, d’expérimenter, d’agir, est monopolisé. Pourtant, comme le rappelle Tony Fry (repris par Anne-Marie Willis), « Nous sommes tous designers… et nous sommes tous designés ». Cette formule met en lumière le caractère fondamentalement relationnel du design : il façonne et nous façonne en retour. Refuser à l’usager la possibilité d’agir sur l’expérience revient à nier cette réciprocité constitutive, à figer le design dans une logique descendante et unilatérale.

C’est dans cette perspective que la terminologie même de l’UX doit être interrogée. Le vocabulaire de l’UX, qui se veut empathique, porte en lui une contradiction fondamentale. Le terme même d’« utilisateur » trahit une vision instrumentale de la relation entre l’humain et les systèmes techniques. Don Norman, pourtant à l’origine de l’expression « expérience utilisateur », en a lui-même reconnu les limites : « Nous dépersonnalisons les individus que nous étudions en les rebaptisant « utilisateurs ». Ces termes sont péjoratifs. [...] Il est temps de parler à des personnes. Le pouvoir au peuple. » (Words Matter, cité par Masure, 2021, p. 83). Cette lucidité tardive — opportuniste et auto-réhabilitante ? — souligne combien la terminologie de l’UX peut conforter une posture de domination douce, où la personne n’est plus pensée comme sujet, mais comme destinataire d’un processus conçu ailleurs et pour elle.

Dès lors, le mot « expérience », central dans l’UX, devient un faux ami. L’« expérience utilisateur » ne désigne plus une transformation vécue par le sujet, mais une succession d’états programmés, un flux comportemental dirigé. Elle est en fait l’expérience du designer projetée sur l’usager, mise en scène, captée, mesurée. Le pouvoir d’expérimenter, au sens de se confronter au monde et d’en être transformé, est déplacé du côté de celui qui conçoit — non de celui qui utilise.

Une falsification contemporaine de l’expérience

Ce que révèle l’analyse croisée de la pratique UX et de la pensée de Dewey, ce n’est pas une simple divergence de vocabulaire, mais un détournement méthodique de la portée existentielle et critique du concept d’expérience. En se réclamant de l’« expérience utilisateur », l’UX design capte un langage chargé d’humanité, de subjectivité, de sensibilité — mais en en renversant le sens. Loin de donner forme à des situations vécues dans lesquelles le sujet s’éprouve, s’engage et se transforme, l’UX transforme l’expérience en prétexte à optimisation, en levier de captation, en indicateur de performance.

De même, le cœur méthodologique de l’UX — fondé sur des tests, des interviews, des parcours utilisateurs, des données comportementales — se réfère explicitement à une logique d’enquête, omniprésente dans la littérature professionnelle. Or, cette enquête-là ne s’inscrit pas dans le sens que lui donne Dewey. Chez lui, l’enquête (inquiry) est une réponse située à une situation de trouble vécue par un sujet ; elle est une forme d’attention au monde qui transforme celui qui la mène. Loin d’être une méthode appliquée sur autrui, elle est un processus vécu par le sujet lui-même, dans lequel s’articulent expérimentation, jugement et reconstruction du sens.

Là où Dewey faisait de l’enquête une voie d’émancipation et de subjectivation, l’UX en fait un outil de conformité et d’adaptation.

En UX, l’enquête devient un dispositif de mesure externe, une méthode de captation des préférences et des comportements. L’utilisateur n’enquête pas sur sa propre expérience, il en est l’objet. L’enquête ne transforme pas celui qui la vit, elle alimente un processus de validation produit, piloté depuis l’extérieur. Ce glissement révèle une inversion éthique et épistémologique : là où Dewey faisait de l’enquête une voie d’émancipation et de subjectivation, l’UX en fait un outil de conformité et d’adaptation.

Ce paradoxe est d’autant plus frappant que l’UX s’est profondément nourrie des apports du pragmatisme américain, et notamment de Dewey. Elle a adopté son vocabulaire — expérienceenquêteitérationobservation — mais en a dévié la finalité. Elle a gardé la forme sans le fond : les mots d’un philosophe de la liberté, mis au service d’une logique de contrôle. Ce n’est pas simplement une simplification ou une réduction, c’est une falsification : une forme de plagiat méthodique qui vide les concepts de leur puissance critique pour les transformer en outils d’optimisation fonctionnelle.

C’est ici que les mots de Jean-Louis Fréchin, pionnier du design numérique en France, apportent un éclairage décisif. En rappelant la richesse et la complexité de l’expérience humaine, il souligne les limites fondamentales de toute approche strictement fonctionnelle de l’usage : « La dimension humaine et sensible des productions n’est pas nouvelle pour le design, contrairement au secteur informatique. L’espace entre surprises, désirs, attentes et besoins est vaste. Un objet peut-il être défini par la somme des besoins qu’il couvre, exprimés par un fragment de la population ? Un besoin exprimé reflète-t-il des attentes réelles ? Un bon design repose sur l’adéquation entre offre et besoin, adaptabilité, “bidouillabilité” (faire ce qui n’est pas prévu), symbole, statut, désir, surprise, envie et besoins réels. » (Le design des choses à l’heure du numérique, Jean-Louis Fréchin, p. 137).

Cette remarque renforce l’idée que l’expérience ne peut être réduite à un protocole d’optimisation, ni l’usage à une série de besoins exprimés. Ce que Fréchin nomme « bidouillabilité », cette capacité à détourner, s’approprier, subvertir les objets, résonne directement avec l’approche de Dewey : une expérience véritable transforme, produit du sens, ouvre à l’imprévu. La question n’est donc plus seulement terminologique ou méthodologique. Elle est profondément politique et philosophique : comment restaurer la puissance critique des notions d’expérience et d’enquête dans un champ qui les a absorbées tout en les dévitalisant ? Et comment imaginer un design qui rende à l’usager sa capacité d’expérimenter, de s’interroger et de se transformer à travers l’usage — plutôt que de lui assigner un rôle passif dans un protocole déjà écrit ?

Conclusion

L’analyse critique de l’UX design contemporain à la lumière de la pensée de John Dewey montre combien la notion d’expérience a été absorbée, instrumentalisée, vidée de sa force transformatrice. Pourtant, certains signes récents pourraient indiquer un infléchissement. iOS 18, avec ses nouvelles options de personnalisation — taille, couleur, disposition des icônes, widgets modulables —, ou Android 15, avec ses réglages flexibles de l’écran de verrouillage, des notifications et des modes d’interaction, laissent entrevoir, même timidement, la possibilité d’interfaces plus appropriables, plus situées, plus ouvertes à l’imprévu.

Ces gestes ne renversent pas la logique dominante. Mais ils rappellent que le design numérique n’est pas condamné à une fonction de contrôle doux. Il peut redevenir une pratique d’enquête au sens fort, une expérimentation vécue par le sujet, et non pilotée pour lui. Pour cela, il faut renverser la perspective : cesser de concevoir l’expérience comme une variable à optimiser, et la penser comme un processus d’engagement, d’essai, de transformation.

Reste à savoir si ces frémissements actuels s’amplifieront ou s’ils seront absorbés à leur tour dans une nouvelle vague de normalisation. C’est ici que le rôle des designers, mais aussi des usagers, devient décisif : refuser les interfaces closes, réclamer des systèmes ouverts, expérimenter librement.

L’expérience, au sens de Dewey, pourrait redevenir le cœur battant d’un design post-UX : non plus trajectoire prescrite, mais trajet vécu — fait d’imprévus, d’initiatives, de subjectivations. Un design de la liberté, qui restitue à chacun sa puissance à agir, au lieu d’un design de la conformité.